La Sororité

Projet lauréat du Budget participatif de Paris, le 9 octobre 2023, choisi par les habitant·e·s du 18e arrondissement

La philosophie générale du programme :

Le monde semble de plus en plus violent, déchiré, enténébré. La peur saisit les esprits. Notre expérience de terrain, que nous voulons étendre, offre une autre perspective : celle de la confiance et de l’optimisme. Nous constatons un vif désir d’Humanisme, et une soif de concorde et de paix universelles.
On entend que la République serait faible, en manque de protection ; elle continue, au contraire, à être puissante et attirante. Le financement de ce projet au service des femmes dans les quartiers populaires de Paris permettra la diffusion de ses principes, méthodes et outils. Nous croyons au progrès et à la discussion éclairée et démocratique, à la perfectibilité de l’être humain et de la société, à l’universalisme des valeurs de Liberté, d’Egalité et de Fraternité/Sororité.
Notre programme citoyen, qui vise à créer une communauté d’esprit autour de valeurs partagées, vient de la base : lauréat du Budget participatif 2023, il a été porté par les habitantes et habitants du 18e arrondissement de Paris, assurément le plus populaire, dynamique et multiculturel. Il comporte un important volet réflexif, en promouvant les discussions entre femmes dans les quartiers, des actions pour transformer leur quotidien et de la recherche, qui servira aussi à son évaluation scientifique.

Par et pour les femmes des quartiers populaires :

Nous vivons dans une société de plus en plus fragmentée, et c’est dans les quartiers populaires, et tout particulièrement dans le 18e arrondissement de Paris, que l’on trouve les situations les plus éparses : des personnes aux situations et horizons très divers cumulent les vulnérabilités et les situations de violence et de rejet. La pandémie, qui est devenue une « pandémie de solitude », vient aggraver cela. Les femmes, paradoxalement, sont à la fois celles qui souffrent le plus de ces murs existentiels et celles qui établissent le plus de ponts. Elles détiennent les clefs du lien social et ont besoin d’être soutenues dans leur volonté rassembleuse.
Dans les tiers-lieux, des femmes de situations matrimoniales, sociales, économiques, administratives différentes, et de convictions, de cultures, d’origines, d’orientations sexuelles et de traditions religieuses diverses se retrouvent. Nous voulons contribuer à faire de ces nouveaux espaces de sociabilité des fabriques de tolérance, où ce qui est épars est rassemblé, et d’utopies, où se construisent des modèles alternatifs, susceptibles d’être des sources d’inspiration et des moteurs d’action.

L’inclusion des femmes âgées sera notre priorité. Elles sont trop souvent réduites à leurs vulnérabilités, alors qu’elles sont des femmes puissantes, puissantes de leur expérience et de leur transmission. Les femmes exilées de notre association, actives dans le mouvement « Femme, Vie, Liberté », apporteront leur expérience de Résistantes dans les quartiers populaires, tant auprès des femmes qui sont les piliers de ces quartiers que des primo-arrivantes.
Cette richesse humaine dans ces tiers-lieux contribuera à faire de notre programme un voyage émancipateur à travers une localité et une temporalité (le lieu et le temps des possibles) autres que celles vécues quotidiennement par des femmes qui ploient sous les contraintes et les préjugés d’une réalité impitoyable et qui ne savent plus à quelle porte frapper.

Les femmes des quartiers populaires doivent être soutenues là où elles vivent dans leurs rôles de penseuses, de passeuses et d’actrices sociales.

La sororité par la réflexion :

Penseuses, elles pourront réfléchir, 2 fois par mois, dans nos cafés philo organisés dans le tiers-lieu « Quartier Libre – 4C », lauréat du Budget participatif 2017 et de l’Arc de l’Innovation 2019, à La Goutte d’Or (Paris 18e). Potentiellement, chaque année, 240 femmes pourraient participer. Nous proposerons 2 types d’activité selon une méthodologie que nous avons élaborée et expérimentée dans nos cours de français.
La première activité se base sur la raison discursive (ou, plus précisément, dialectique : thèse-antithèse-synthèse), pour dépasser l’esprit de parti pris et former les esprits sans les conformer. Les participantes vont apprendre à mieux formuler leurs arguments pour mieux se faire entendre, à comprendre les idées opposées pour diffuser la tolérance et prendre des décisions éclairées par la confrontation à d’autres points de vue.
La seconde activité se base sur la raison analogique, pour enrichir les esprits sans les endoctriner. Elle consiste à penser les mythes concernant les femmes dans chaque culture et à se les réapproprier comme symboles discutables de leur propre condition de femme en France aujourd’hui. Ces représentations de femmes viendront de toutes les cultures, mais nous aurons particulièrement à cœur de présenter celles de la « culture classique » (souvent connue seulement d’une élite) et celles de la culture juive (car là où la connaissance progresse, l’antisémitisme régresse). Concrètement, nous réfléchirons autour de la figure d’Antigone, des représentations androgynes d’Akhenaton et de la princesse valeureuse dans le manuscrit égyptien du « Prince prédestiné » au Louvre, de la Reine de Saba, femme sage à la peau noire, traitée comme une égale par le roi Salomon, ou encore Shéhérazade, qui évite un féminicide par son intelligence.

La sororité par la transmission :

Passeuses, elles le sont à double titre : primo-arrivantes, elles transmettent certes le trésor de leur culture d’origine à leurs enfants et à la société, mais également la culture française à leur famille à partir de ce qu’elles voient et côtoient. Or, les femmes des quartiers populaires ne transmettent pas que des traditions :elles sont souvent des femmes du « Non ! » qui transmettent à leurs filles leurs transgressions réalisées ou espérées (refus de l’excision ou d’un mariage arrangé ou précoce, désir d’une scolarité poussée et d’un modèle familial sans violences envers les femmes et les enfants, etc.).
Les mères transmettent certes la langue « maternelle », mais elles arrivent souvent plus facilement que les hommes à apprendre le français oral par des interactions sociales qui les décloisonnent. Etelles encouragent leurs enfants à apprendre le meilleur français possible. Or, une meilleure connaissance du français ouvre à la culture française et à nos débats. En revanche, une mauvaise connaissance du français enferme et les enfants deviennent « les parents » de leurs parents. L’association a une longue expérience de l’enseignement du F.L.E. à des personnes primo-arrivantes. Nous utilisons l’approche neurolinguistique (A.N.L.), élaborée et généralisée au Canada, et des leçons concrètes à visée d’autonomie et d’intégration, basées sur nos accompagnements. Nos cours pour femmes de notre programme se tiendront dans nos lieux d’enseignements habituels à Paris (au C.H.U. « Agnodice » pour femmes sortant de maternité, au Centre LGBTQI+, à la Halte humanitaire) pour un total de 24 heures par semaine et, potentiellement, pour 128 apprenantes.

De plus, comme c’est déjà le cas au C.H.U. « Agnodice » lors de nos cours de
français, il y a une complicité potentielle entre la mère et ses enfants mutuellement bénéfique à l’apprentissage. Prenant appui sur cette dynamique, nous mettrons en ligne un site internet pour qu’avec le soutien d’hommes et de femmes qui ont l’habitude d’enseigner en primaire à des élèves allophones ou dans les quartiers prioritaires de la ville, des leçons soient disponibles en diverses langues, mais avant tout dans celles parlées en Iran, en Afghanistan et au Pakistan, à savoir le persan et le pashto.
Ainsi, non seulement les parents étrangers pourront mieux suivre et aider leur enfant, mais les femmes bénéficieront par là-même de leçons compréhensibles à partir desquelles elles pourront se former dans les savoirs français de base (histoire-géographie, mathématiques, principes de la République, etc.).
En 3 ans, avec l’aide du matériel acheté grâce au Budget participatif 2023,nous voulons que l’ensemble des classes de primaire fasse l’objet de vidéos dans des langues maternelles des femmes exilées. Assurant une mission de service public en garantissant un « minimum éducatif » pour les femmes qui ont peu la possibilité de sortir de chez elles, ce site internet sera utile aussi aux femmes opprimées à l’étranger. Avec l’aide des activistes afghanes qui ont promu l’éducation des filles et dont nous avons obtenu l’exfiltration, nous ferons en sorte que les vidéos atteignent les filles d’Afghanistan.

La sororité par l’action transformatrice de la société :

Actrices sociales, elles opèrent un remembrement de ce qui a été disloqué, en elles ou dans leur entourage. Notre programme inclut 2 types d’ateliers de libre parole, qui prennent en compte leurs insatisfactions relatives à leur condition présente et leur aspiration au progrès personnel et social, par une compréhension plus profonde de leur condition et par le renforcement des mécanismes de résilience individuelle et sociale.

Chaque atelier se tiendra toutes les 2 semaines, pour, potentiellement, 576 femmes par an, à la Porte de Clignancourt (Paris 18e), dans le tiers-lieu culturel et social axé autour du cinéma, de l’emploi et du bien manger de La Sierra Prod, lauréate du Budget participatif 2018 et de l’Arc d’innovation 2020.

Des ateliers de vidéographie permettront à des femmes, auxquelles les bases de l’utilisation de la caméra seront enseignées, de se révéler à elles-mêmes et de se présenter à la communauté des femmes, sous la supervision de la psychologue et anthropologue expérimentée Christina Alexopoulos de Girard, qui a déjà coréalisé un tel documentaire pour le quartier de la Goutte d’Or. Chaque témoignage s’inscrivant dans une thématique, nous souhaitons que cette bibliothèque de témoignages prenne place dans notre plateforme numérique susmentionnée. Des femmes d’Afghanistan et d’Iran pourraient elles aussi envoyer leurs vidéos à nos activistes de « Femme, Vie, Liberté ». Les participantes, par ce travail sur elles-mêmes partagé, progresseront ainsi vers leur propre vérité, par delà les préjugés et les discours sur elles-mêmes qu’elles avaient intégrés.

Des ateliers de libre parole, insérés dans des goûters thérapeutiques, seront aussi des ateliers d’information avec des professionnelles sur diverses thématiques : les violences faites aux femmes, la sexualité, l’éducation bienveillante, la résilience, etc. L’objectif n’est pas seulement de partager un éclairage et d’échanger sur des réalités vécues quotidiennement mais, plus encore, de créer une chaîne de sororité qui s’étende à tout l’arrondissement, pour que les participantes communiquent aux autres qui ont besoin d’aide une force qu’elles pourront faire leur : la résilience et l’émancipation sont une affaire collective. Nous espérons créer une dynamique sur les réseaux sociaux pour que chaque participante partage, au-delà de son voisinage immédiat, le fruit de ses réflexions.